Si les 110 000 immigrés juifs d’Europe de l’Est ne professent pas tous des idées progressistes, beaucoup, cependant, femmes et hommes, sont animés par un idéal révolutionnaire universaliste et laïque.
Souvent politisés dans leur pays d’origine, ils choisissent de s’installer en France par admiration pour cette France des Lumières, de la Révolution française et de l’émancipation des Juifs. Attachement qu’ils partagent avec les Français israélites. Tous célèbrent la patrie des droits de l’Homme et la réhabilitation de Dreyfus.
Les artistes juifs immigrés se distinguent au sein de l’« École de Paris », les travailleurs manuels œuvrent à domicile ou en atelier. Pour la plupart, ce sont des ouvriers de la confection et du textile, ou de petits artisans. Ils habitent surtout à Paris dans les quartiers populaires, à l’est, au nord et au centre. Animés d’une forte conscience politique, ils participent vite aux conflits sociaux. Ainsi, les jeunes Juifs fournissent de forts contingents aux Jeunesses communistes.
IDÉAL RÉVOLUTIONNAIRE UNIVERSALISTE ET LAÏQUE
Depuis le 19ème siècle, s’est développé dans de nombreux pays un mouvement socialiste visant la destruction du capitalisme vu comme un système d’exploitation, générateur de guerres et de haines entre les peuples. La religion est analysée comme le soutien de ce système. La révolution bolchévique d’octobre 1917, la création de l’Union soviétique et de l’Internationale communiste sont ressenties par beaucoup comme les premières étapes d’une révolution mondiale. Elles font naître l’espoir d’une société bannissant l’injustice sociale et prônant l’amitié entre toutes les nationalités. Beaucoup de jeunes Juifs sensibles à ce message s’engagent avec enthousiasme dans le mouvement communiste qui, pensent-ils, doit permettre d’éliminer l’oppression de classe et l’antisémitisme.
ÉMANCIPATION DES JUIFS DE FRANCE
La France est la première à accorder l’émancipation aux Juifs par le vote de l’Assemblée constituante en 1791. Le processus a débuté en 1781 avec l’Édit de tolérance de Joseph II d’Autriche qui accorde la liberté de culte aux Protestants et aux Juifs. En 1787, Louis XVI promulgue un édit identique. Auparavant, en Allemagne, a lieu la rencontre de l’Aufklärung (la philosophie des Lumières) et de la Haskalah (les Lumières propres au judaïsme avec Moses Mendelssohn). En France, Mirabeau fait connaître Mendelssohn dans Sur Moses Mendelssohn, sur la réforme politique des Juifs (1787). L’année suivante, l’abbé Grégoire publie son Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs. Il accorde quelques vertus aux Juifs mais, néanmoins, il les estime « dégénérés ». Toutefois, comme Mirabeau, il dénonce la ségrégation et l’exclusion.
Du 21 au 24 décembre 1789, la question juive, avec celle des Protestants, est abordée par l’Assemblée constituante après l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le 26 août. Le comte de Clermont-Tonnerre énonce la future doctrine de l’assimilation des Juifs en France : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus. Il faut qu’ils ne fassent dans l’État ni un corps politique ni un ordre. Il faut qu’ils soient individuellement citoyens ». L’Assemblée tergiverse et seuls les Juifs avignonnais et les Juifs portugais résidant à Bordeaux sont déclarés citoyens à part entière le 28 janvier 1790. La question de l’existence politique des Juifs est ajournée. Il faut attendre le 28 septembre 1791, pour que le jacobin Adrien Duport demande que « l’ajournement soit révoqué et qu’en conséquence il soit décrété que les Juifs jouiront en France des droits de citoyens actifs ». L’Assemblée vote la motion de Duport. Le 13 novembre, Louis XVI ratifie la loi déclarant les Juifs citoyens français.
Face aux rabbins orthodoxes ou conservateurs, l’émancipation en Europe occidentale permet à beaucoup de Juifs de sortir des ghettos. Elle favorise, à la suite de la Haskalah, l’émergence d’un judaïsme réformé et contribue à l’assimilation des Juifs en France.
Référence
Blumenkranz Bernhard (dir), 1972, Histoire des Juifs de France, Édouard Privat.
AFFAIRE DREYFUS
La IIIème République affronte crises politiques et économiques et l’instabilité gouvernementale, auxquelles s’ajoute le traumatisme de l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par l’Allemagne (1871). Ce contexte alimente les nationalismes les plus extrêmes et l’antisémitisme, attisés par une presse influente.
Dès le 1er novembre 1894, La Libre Parole, le quotidien d’Edouard Drumont, qui fait de l’antisémitisme son cheval de bataille, titre « Arrestation de l’officier juif Dreyfus » accusé de traîtrise au profit de l’Allemagne. Le 22 décembre 1894, Dreyfus, est condamné par un Conseil de guerre, après trois jours de procès à huis-clos, à partir de « preuves » tenues secrètes, qui s’avèreront être des faux. En janvier 1895, Alfred Dreyfus est dégradé et déporté à l’île du Diable au large de la Guyane.
La presse s’empare de l’affaire ; peu à peu, la France se divise entre dreyfusards et anti-dreyfusards, et l’antisémitisme se déchaîne.
Le 13 janvier 1898, l’écrivain Émile Zola publie dans le quotidien L’Aurore une lettre ouverte au président de la République, Félix Faure, intitulée « J’accuse », dans laquelle il entend rétablir « la vérité d’abord sur le procès et sur la condamnation de Dreyfus ».
Le 3 juin 1899, Dreyfus est renvoyé devant le Conseil de guerre de Rennes et quitte l’île du Diable. En septembre, il est à nouveau déclaré coupable et condamné à dix ans de détention. Dix jours plus tard, le président Emile Loubet signe sa grâce.
Le 12 juillet 1906, la Cour de cassation casse le verdict de 1899 et affirme* : « De l’accusation portée contre Dreyfus, rien ne reste debout ». Elle prononce l’arrêt de réhabilitation du capitaine Dreyfus.
Références
— Birnbaum Pierre, 1994, L’affaire Dreyfus, la République en péril, Gallimard, coll. « Découvertes ».
— Bredin Jean-Denis, 1981, L’Affaire, Ed. Fayard, Paris.
*Arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 1906.