En mars 1944, le Conseil National de la Résistance élabore un programme de gouvernement qui prévoit, notamment, la suppression de toutes les discriminations dont les Juifs ont été les victimes et la restitution de leurs biens.
Le programme, très axé sur les questions sociales, est largement influencé par les valeurs communistes (sécurité sociale, nationalisations, droit du travail, droit au travail, respect des travailleurs). Ce programme se veut très consensuel et il est adopté par l’ensemble des organisations membres du CNR, de la droite républicaine à la gauche communiste.
Parallèlement, le combat continue. Le 1er mars 1944 à Toulouse, la Brigade Marcel Langer FTP-M.O.I. décide de faire sauter le cinéma des Variétés, diffuseur zélé de l’idéologie nazie. On y affiche, par exemple, un film de propagande antisémite, Le Juif Süss. L’attentat échoue dramatiquement mais ne démobilise pas les forces de la Résistance.
Les combats dans les maquis et la guérilla urbaine opiniâtre, conçue par Joseph Epstein continuent à désarçonner l’ennemi. La lutte unitaire prend forme, avec une détermination sans faille, depuis la fondation du Conseil National de la Résistance.
PROGRAMME DU CNR
L’objectif est l’unification des diverses tendances de la Résistance intérieure sous l’autorité des forces de la Résistance extérieure gaulliste.
Jean Moulin, premier président du CNR, choisi par de Gaulle, est arrêté par la gestapo le 21 juin 1943. Il meurt le mois suivant après avoir été torturé. Georges Bidault devient le second président.
Le Programme du CNR, « Les jours heureux », adopté à l’unanimité, paraît le 15 mars 1944 après un long cheminement et plusieurs moutures. Peu diffusé à sa parution, ce programme prend toute sa place durant les années 1944-45. Il préconise des « mesures destinées à instaurer, dès la Libération du territoire, un ordre social plus juste. ».
Son premier volet exprime sa volonté « d’abattre l’Allemagne nazie » et souligne l’importance de l’action immédiate militaire avec la mise en œuvre de Milices patriotiques au sein des villes et villages.
Le second volet présente des mesures démocratiques :
— Rétablissement du suffrage universel.
— Liberté de pensée, de conscience et d’expression.
— Liberté de réunion et de manifestation.
—Égalité devant la loi.
C’est dans le domaine économique et social que l’influence des valeurs communistes est la plus évidente :
— Retour à la nation des grands moyens de production, de toutes les sources d’énergie et des grandes banques.
— Participation des travailleurs et droits des syndicats.
— Promotion des ouvriers au sein de l’entreprise.
— Revalorisation des salaires.
— Programme de sécurité sociale complet comprenant, notamment, protection de la santé, sécurité de l’emploi, aides sociales, droit au travail, droit du travail, extension du droit à la retraite.
Le CNR prévoit « l’extension des droits politiques, sociaux et économiques aux populations indigènes et coloniales » et n’oublie ni la Culture ni l’Education pour tous en encourageant la promotion d’une élite due au mérite et non à la naissance
Les mesures à appliquer promeuvent, en outre, la suppression de toutes les discriminations dont les Juifs ont été victimes, la restitution de leurs biens, le respect de la personne humaine et la justice sociale pour tous.
Le poids des interventions des nombreux résistant (e) s et des débats à l’Assemblée consultative provisoire qui siège à partir de 1943 à Alger puis à Paris après la Libération, permet l’adoption d’ordonnances portant les idées du programme du CNR.
Les divergences d’idées, au sein des différentes sensibilités du Conseil, expliquent, entre autres, les absences de références directes à la laïcité ou au vote des femmes.
Références
— CNR, 1944, « Les Jours heureux » Paris.
— Andrieu Claire, 1984, « Le Programme commun de la Résistance » Paris Ed. de l’Erudit,
FTP-M.O.I. ZONE SUD
À Lyon, à l’été 1942, quelques anciens brigadistes de la guerre d’Espagne et des militants de la Jeunesse communiste se regroupent. Tous sont des Juifs étrangers. Ils forment le détachement « Carmagnole ».
En sus de « Carmagnole », se forme un second détachement, dit « Simon-Frid », du nom d’un combattant guillotiné en décembre 1943 mais ce détachement ne sera jamais au complet.
À Grenoble, le détachement « Liberté » (30 hommes) est constitué au printemps 1943.
Les actions sont nombreuses, dans les régions lyonnaise et grenobloise, contre l’occupant et le régime de Vichy.
À partir du Débarquement, « Carmagnole » et « Liberté » vont créer chacun un maquis, chaque structure réunissant plus d’une centaine de combattants et intégrant des Italiens, des mineurs polonais, et de jeunes Français fuyant le STO.
La liste de la centaine de morts de Carmagnole » et « Liberté » de 1942 à 1944 révèle que l’organisation repose essentiellement sur les immigrés juifs d’Europe de l’est.
À Toulouse, la 35e Brigade, dite « Brigade Marcel Langer » porte le nom de son commandant, juif polonais, ancien brigadiste, assassiné par Vichy. C’est une unité mixte. Elle est composée de 60 membres, principalement des Juifs d’Europe de l’est.
Les femmes, très impliquées, transportent les armes, filent les cibles et fabriquent les bombes.
Le bilan de la « Brigade » est impressionnant : sabotages de voies ferrées, d’usines, de dépôts de matériel allemand, attaques de convois allemands, exécutions de magistrats collaborateurs, de miliciens… Les combattants réussissent à créer un climat d’insécurité permanente pour l’ennemi.
À Marseille, le détachement Marat, devenu plus tard la compagnie Maurice Korsec, du nom de son jeune commandant juif, assassiné par les nazis à l’âge de 19 ans, est également très dynamique. Le 11 novembre 1942, lors de l’entrée des troupes allemandes à Marseille, une bombe détruit un camion allemand en plein centre de la ville. De très nombreuses autres actions vont suivre.
D’une manière générale, malgré leur faible effectif, les résistants FTP-M.O.I., à Paris comme au Sud, sont très efficaces dans leur lutte contre le nazisme et pour la liberté. Ils participent tous aux combats pour la Libération.
Références
— Collin, Claude in : F. Marcot (dir.) 2006, Dictionnaire historique de la Résistance : Ed. Robert Laffont.
— Ravine, Jacques (1973) La Résistance organisée des Juifs en France 1940 1944 : Ed. Julliard
GUÉRILLA URBAINE
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la « guérilla urbaine », caractérisée par le harcèlement de l’ennemi (nazi et vichyste), s’exerce en ville (notamment à Paris, Lyon, Toulouse, Marseille et Grenoble). Elle est le fait, très principalement, des communistes. Depuis l’invasion de l’URSS, en été 1941, l’objectif assigné par l’Internationale communiste (organisation qui représente les pays communistes alignés sur l’Union soviétique) est la démoralisation de l’ennemi par une pression incessante. Coups de main, attaques et opérations armées imprévisibles empêchent le départ de troupes allemandes sur le front russe.
En France, la guérilla urbaine montre la détermination de la Résistance communiste à répondre aux exécutions d’otages, aux arrestations arbitraires, aux traitements inhumains, xénophobes et antisémites, perpétrés par l’occupant et le régime pétainiste de collaboration. Elle vise, en particulier, tous les lieux où se regroupent des soldats allemands (hôtels, garages, restaurants, lieux de spectacle…).
La conception de la « guérilla urbaine »en France est le fait de Joseph Epstein (dit « Colonel Gilles »), Juif polonais, stratège, désigné par le Parti communiste français, en février 1943, pour diriger les FTP de la région parisienne. Les « groupes de 3 » sont alors la règle mais Epstein préconise des groupes de combat de 12 à 24 hommes, divisés en plusieurs sous-groupes qui se relaient. L’objectif est d’amplifier l’action et de limiter les pertes. Le nombre d’hommes impliqués dans ces actions est limité du fait des compétences requises et des risques encourus.
Les opérations de « guérilla urbaine » sont encadrées militairement par les FTPF et FTP-M.O.I. qui opèrent sous forme de « détachements ». Les combattants sont peu nombreux (65 à Paris, 80 à Toulouse, 55 à Marseille). Ce sont, majoritairement, des Juifs immigrés d’Europe de l’Est, souvent anciens brigadistes défenseurs de la République pendant la guerre civile en Espagne (1936-1938). En outre, dans leurs pays d’origine (Pologne, Hongrie, Roumanie…), déjà fortement politisés, ils ont acquis l’expérience de la clandestinité et de la lutte contre le fascisme. Ils n’hésitent pas à se mettre en danger.
La police française dévouée aux Allemands, et l’occupant nazi, préoccupé de sa sécurité, exercent une répression terrible (peines de mort, tortures et déportations) sur les combattants de la guérilla mais les résistants gagnent peu à peu la bataille de l’opinion.
Références :
— Courtois Stéphane, Peschanski Denis, Rayski Adam, 1989, Le Sang de l’étranger. Ed. Fayard
— Diamant David, 1971, Les Juifs dans la Résistance française, Ed. Le Pavillon, Roger Maria.
Joseph Epstein
Dit colonel Gilles, Joseph André (ou Andrej),
André Duffau
(1911-1944)
Né en Pologne, à Zamość, le 16 octobre 1911, Joseph Epstein appartient à une famille aisée de culture yiddish. Dès son plus jeune âge, il participe, dans les rangs du Parti communiste de Pologne, à la lutte contre le gouvernement dictatorial de Józef Piłsudski. Il poursuit des études de Droit à l’université de Varsovie.
Il est arrêté lors d’une prise de parole devant une usine ; libéré sous caution, il quitte la Pologne pour la Tchécoslovaquie.
Il est aussitôt expulsé, gagne la France en 1931 et obtient sa licence de droit à Bordeaux.
En 1936, lorsqu’éclate la guerre d’Espagne, il est l’un des premiers volontaires. Il combat aux côtés des Républicains espagnols dans les Brigades internationales et est grièvement blessé sur le front d’Irun. Pendant sa guérison, il participe en France, à l’action de la compagnie maritime « France Navigation », chargée du transport d’armes pour l’Espagne républicaine.
Il participe à la bataille de l’Èbre, sous le pseudonyme de Joseph André, et est cité à l’ordre de l’Armée ; il devient capitaine. Après la chute de la République espagnole, en 1939, il revient en France et est interné au camp de Gurs. Il est libéré en juillet 1939.
Engagé dans la Légion étrangère, Joseph Epstein est fait prisonnier en mai 1940. Il est envoyé dans un stalag en Allemagne d’où il s’évade en décembre 1940 et rejoint la lutte clandestine en France auprès des Francs-tireurs et partisans (FTPF ou, plus simplement, FTP).
D’abord principal responsable, en 1942, des groupes de sabotage et de destruction (GSD) créés par les syndicats CGT au sein des entreprises contraintes de travailler pour l’Occupant, il devient responsable militaire des FTP de la région parisienne, en février 1943, sous le nom de Colonel Gilles. Aux groupes de trois résistants, de règle dans l’organisation clandestine, il a l’idée de substituer des unités de dix à quinze combattants en mesure de réaliser un certain nombre d’actions spectaculaires. Cette organisation permet d’assurer la protection des lanceurs de bombes ou de grenades qui interviennent les uns après les autres, en cascade. Epstein instaure ainsi une tactique de « guérilla urbaine » que mettent en œuvre les FTP et les FTP-M.O.I. Dynamitage de trains, de voies ferrées, destruction de pylônes électriques, de ponts, sabotage dans les usines, ces techniques de guérilla sont celles qu’il avait apprises lors de la guerre civile espagnole.
Dénoncé, Joseph Epstein est arrêté en gare d’Évry Petit-Bourg, le 16 novembre 1943, lors d’un rendez-vous avec Missak Manouchian, FTP-M.O.I.
Atrocement torturé par les inspecteurs des Brigades spéciales, il ne livre aucun nom.
Joseph Epstein est fusillé, sous le nom de Joseph André, au fort du Mont-Valérien avec 28 autres résistants, le 11 avril 1944.
Le jour de son exécution, il aide un camarade à s’évader du camion qui les conduit au peloton d’exécution.
En 2004, son nom est donné à une place du 20e arrondissement de Paris.
Références
— Convert Pascal, 2007, Joseph Epstein : Bon pour la légende. Ed. Séguier.
— Dictionnaire le Maitron en ligne. 2020. Jean Maitron-Claude Pennetier.
— Photo : Pascal Convert – documentaire France 2008 (DR)