Pendant toute l’année 1943, la presse clandestine et résistante juive communiste ne désarme pas. Les journaux porte-paroles de l’UJRE sont Droit & Liberté en français et Unzer Wort en yiddish. Le journal est publié de plus en plus souvent en français sous le titre Notre Parole et il ne cesse d’appeler à la lutte.
Les combattants armés s’appuient sur les résistants qui accomplissent les tâches techniques et politiques. Certains mènent, à la fois une action armée et une action non-militaire. Tous risquent leur vie. Le transport et la récupération d’armes ou le déraillement provoqué de trains ennemis chargés de matériel de combat peuvent s’accompagner, par exemple, de la mise en place d’une imprimerie.
L’information est vitale. Elle circule par voie de presse ou par tracts sortis des imprimeries clandestines. Les résistants juifs communistes s’emploient ainsi à faire prendre conscience aux Juifs et à l’opinion publique dans son ensemble, de l’existence des camps d’extermination. Les crimes des nazis doivent être connus de tous.
Les résistants juifs communistes s’illustrent également dans des actions de Résistance civile. Ils forment des agents de liaison parmi lesquels, de nombreuses femmes. Ils (ou elles) assurent la transmission de messages et d’informations entre résistants et, parfois, transportent des armes légères ou des sommes d’argent. En pleine clandestinité, d’autres tâches sont, elles aussi, fondamentales : fabrication de faux papiers, recherche de planques pour les résistants, sélection de familles d’accueil pour les enfants juifs et collecte de fonds pour faire face à ces besoins.
L’UJRE manifeste sa volonté de résister au nazisme partout en France, par les actions les plus diversifiées, armées ou non.
UNZER WORT
Unzer Wort reparaît, à intervalles assez réguliers, à partir du 29 septembre 1940.
Par la suite, la version française, en zone nord, a pour titre Notre Parole, la parole de l’opposition des Juifs progressistes au fascisme et à l’antisémitisme.
Principal organe de la Résistance juive sous l’Occupation, le journal dénonce (en yiddish et en français) les internements massifs de Juifs étrangers, les mesures discriminatoires prises contre les Juifs et lance des appels à la Résistance.
Fin mars 1941, les premières arrestations de Juifs communistes ont lieu à Paris. Huit militants sont appréhendés, dont Isidore Fuhrer, chez qui on découvre une machine à écrire à caractères hébraïques (utilisés en yiddish) et un stencil destiné à Unzer Wort.
Dès le 8 août 1941, un numéro de Unzer Wort exhorte « les masses populaires juives » à aller « comme toujours, main dans la main avec le peuple français dans la lutte contre le fascisme, pour une France libre » où les Juifs, seront des « citoyens libres. »
Le 24 août 1941, des intellectuels et des artistes juifs d’URSS révèlent sur les ondes de Radio Moscou les massacres de masse perpétrés contre les Juifs à l’Est et appellent les Juifs du monde entier à intensifier leur combat contre le nazisme. L’appel est publié le 1er septembre 1941 en France grâce à un numéro spécial d’Unzer Wort imprimé chez Rudolf Zeiler.
En juin 1942, à Lyon, paraissent l’édition de la zone Sud de Unzer Wort et sa version française, Notre Voix.
90 numéros de Unzer Wort sont publiés à la fois en yiddish et en français, entre 1940 et 1944.
Des militants juifs sont exécutés pour avoir propagé des idées communistes et antinazies. Les animateurs de la presse clandestine juive sont particulièrement visés : une trentaine d’entre eux sont fusillés ou déportés.
Référence
Cukier Simon, Decèze Dominique, Diamant David, Grojnowski Michel, 1987, Juifs révolutionnaires. Messidor/Éditions sociales
YIDDISH
Dans leur errance, les Juifs ont suivi la route des légions romaines et traversé la France pour se fixer dans les régions rhénanes.
Ils parlent, alors, des dialectes romans et leur langage se mêle peu à peu aux dialectes germaniques du Moyen Âge.
Aux éléments germaniques de base, ils incorporent des éléments romans et y ajoutent des termes hébreux et araméens.
Peu à peu, à partir du 14ème siècle, naît une véritable langue, autonome, avec des sons nouveaux, apparentée par sa grammaire à l’allemand mais évoluant selon ses lois propres.
Une création littéraire importante en témoigne dès le Moyen Âge.
Après 1348-1349, à la suite de massacres qui les déciment en partie (on les rend responsables de la Grande Peste !) un exode massif conduit les Juifs vers Prague et la Pologne.
Ce transfert de populations juives du centre vers l’est européen place le yiddish hors de l’orbite germanique.
Cette langue s’épanouit dans les pays slaves et devient totalement originale et indépendante.
La prononciation se transforme au contact des apports polonais, ukrainiens ou tchèques mais le changement fondamental concerne la syntaxe. Les modes slaves, germaniques et hébraïques se croisent. Le yiddish se libère des formes compliquées.
Au milieu du 18ème siècle, les hébraïsants, hostiles au « jargon », se rallient peu à peu au yiddish. Au 19ème siècle, les écrivains de langue yiddish fondent une langue moderne et annoncent la littérature yiddish classique.
À Wilno (l’actuelle Vilnius), le YIVO, Centre culturel et scientifique juif, fixe la langue.
Jusqu’en 1939, une littérature yiddish, foisonnante et diverse, témoigne de l’extraordinaire vigueur de cette langue, à la fois outil de lutte et moyen de communication.
Références
— Cerf Cécile, (1959), La langue yidich, Cop. by Europe et les Editeurs Français Réunis, revue EUROPE, septembre 1959, pages 18 à 27.
— Cerf Cécile, (1974), Regards sur la littérature yidich, Académie d’Histoire, Paris
N. B : L’orthographe anglo-saxonne, « yiddish » prévaut désormais.
IMPRIMERIES CLANDESTINES
Robert Endewelt témoigne : « Début 1941, il fallait d’abord nous faire connaître des jeunes du quartier et nous avions édité un petit journal fabriqué avec les moyens rudimentaires de cette époque, c’est-à – dire ronéotés ou reproduits sur des feuillets polycopiés à l’alcool. »
La plupart des journaux clandestins de la Résistance se résument à une ou deux feuilles recto verso, mais nécessitent du matériel.
Jusqu’en 1943, la presse clandestine est principalement ronéotée. Le système de ronéo implique l’usage d’un stencil (genre de pochoir sur lequel le texte est tapé à la machine ou écrit à la main) mais la parution est irrégulière car les conditions d’impression sont difficiles :
il faut, non seulement récupérer des machines à écrire et des ronéos, mais aussi de l’encre et du papier, en prenant le risque d’être dénoncé ou de se faire repérer par une police omniprésente.
À partir de 1944, le danger est chaque jour plus menaçant : des chiens sont dressés pour identifier l’odeur du plomb fondu des caractères d’imprimerie qui traînent sur le sol et se collent aux semelles des typographes.
Pour plus d’efficacité, la presse clandestine est imprimée grâce au concours d’imprimeurs résistants ou de matériel récupéré.
L’UJRE fait fonctionner une trentaine d’imprimeries clandestines à Paris et dans le sud de la France. Des apports matériels et humains sont nécessaires :
un local, des machines mais aussi des rédacteurs, dactylos, techniciens professionnels et improvisés, transporteurs, diffuseurs et agents de liaison.
Les artisans de la presse juive communiste clandestine sont nombreux à être « tombés à leur poste de combat » : Israël (Moshe) Bursztyn, l’ancien gérant de la Naïe Presse, Rudolf Zeiler l’imprimeur de Unzer Wort (Notre Parole), les rédacteurs Mounié Nadler, Joseph Bursztyn, Aron Skrobek, dit David Kutner, Ephraïm Lipcer Wowek Cyrzyk et nombre de diffuseurs et membres de l’appareil technique.
Référence :
AACCE, 2009, Les Juifs ont résisté en France, 1940–1945. Ed. AACCE
CAMPS D'EXTERMINATION
La politique génocidaire nazie, qui vise les Juifs (environ 6 millions de victimes) et les Tziganes, se déroule hors de ces camps.
Beaucoup de Juifs sont morts de faim dans les ghettos surpeuplés et miséreux de l’Est européen.
Près de la moitié d’entre eux sont assassinés lors des exécutions de masse (dite Shoah par balles), notamment en Ukraine, en Biélorussie et en Lituanie.
Des camions à gaz mobiles (par monoxyde de carbone, dioxyde de carbone, etc) renforcent le dispositif d’anéantissement.
La majorité des Juifs aboutit dans les centres de « mise à mort ».
Les chambres à gaz (au Zyklon B) et les fours crématoires, conçus en juillet 1942 pour se débarrasser des corps, y fonctionnent jour et nuit.
L’emplacement des camps d’extermination est choisi en raison de la proximité de voies ferroviaires et routières qui permettent d’acheminer les victimes. Les baraquements se réduisent à un ensemble très sommaire de structures. Les historiens s’accordent sur 6 principaux centres de mise à mort, tous situés en territoire polonais : Chelmno, Belzec, Sobibor, Treblinka, Majdanek et Auschwitz-Birkenau. C’est le seul complexe concentrationnaire qui, sur un même lieu, est à la fois centre de mise à mort et camp de concentration.
Références
— Bruttmann Tal, Tarricone Christophe, 2020, Les Cent Mots de la Shoah, Que sais-je ? Éditions PUF.
— Hilberg Raul 1988, La Destruction des Juifs d’Europe, Ed. Fayard.
RÉSISTANCE CIVILE
Référence
Cukier Simon, Decèze Dominique, Diamant David, Grojnowski Michel, 1987, Juifs révolutionnaires, Paris, Messidor/Éditions sociales.
AGENTS DE LIAISON
Les lieux et horaires de rendez-vous, les pseudonymes des contacts, les informations à transmettre doivent être mémorisés. L’agent de liaison doit aussi souvent parcourir des distances importantes à pied, en train ou, mieux, à vélo, moyen de transport privilégié parce qu’il permet d’éviter les contrôles très fréquents dans les gares et les trains. Ce sont souvent des jeunes, et très souvent des jeunes femmes, qui effectuent ces missions car elles attirent moins l’attention que les jeunes hommes, plus souvent contrôlés.
On s’étonne aussi moins de voir des jeunes femmes avec des enfants – elles sont souvent chargées de « cacher » des enfants juifs-. Par ailleurs, elles doivent assurer le versement de la pension de ces enfants, ce qui assure leur maintien dans les familles d’accueil et implique souvent de longs déplacements
Quand les agents de liaison sont arrêtés, ils subissent des interrogatoires inhumains car la police connaît leur rôle de relais essentiels. L’activité d’agent de liaison conduit souvent à la déportation et à la mort.
Référence
Dossin Chantal, 2018, Elles étaient juives et résistantes. Ed Sutton
FAUX PAPIERS
Pour fournir de faux papiers, plusieurs organisations de Résistance juive vont coopérer. Citons, notamment, le Mouvement National contre le Racisme (MNCR), l’œuvre de Secours aux Enfants (OSE), les Éclaireurs Israélites de France, (EIF) le Réseau André de Nice et la section juive de la M.O.I.
De même, le réseau Plutus, fondé à Lyon, par Pierre Kahn-Farelle, dès 1941, fabrique des faux papiers.
Rapidement, « ce réseau comporte 50 permanents et 150 occasionnels et dispose d’un stock de 18000 timbres-cachets ».
Les transports de papiers et de tampons sont assurés par des agents de liaison parmi lesquels de nombreuses femmes. Le réseau est démantelé en mars 1944 à Lyon et en mai 1944 à Paris, à la suite d’arrestations.
L’engagement de certains employés de mairie, de commissariat, de préfecture va aussi jouer un rôle important dans cette entreprise. Enregistrer un acte de décès permet aussitôt d’utiliser une identité pour un résistant.
Enfin certains membres du clergé vont fournir des certificats de baptême, participant ainsi au sauvetage de nombreux enfants juifs. Ils vont aussi rédiger des certificats de travail, de domicile pour protéger des résistants ou des personnes recherchées par la police de Vichy.
La Cimade, comité issu des mouvements protestants de jeunesse, s’engage également dans une fabrication clandestine de faux papiers.
Tous savent les risques qu’ils encourent.
Mais c’est une question de vie ou de mort pour ceux qu’ils veulent sauver.
Références
— Dossin Chantal, 2018, Elles étaient juives et résistantes, Editions Sutton
— Kaminsky 2009, Adolfo Kaminsky Une vie de faussaire. Calmann – Lévy
— Sous la direction de Marcot François, 2006, Dictionnaire historique de la Résistance Bouquins
LES JUSTES
Les personnes qui ont « risqué leur vie pour sauver des Juifs en tout désintéressement » sont honorées par l’Etat d’Israël qui, depuis 1953, a officiellement décerné le titre de « Justes parmi les nations » à plus de 4000 personnes en France et 27000 en Europe.
Le terme « Juste » est emprunté à judaïsme, il désigne, en l’occurrence, toute personne non-juive qui incarne la justice face aux crimes antisémites nazis.
À Jérusalem, un secteur du site mémoriel Yad Vashem consacré à la Shoah, rend hommage aux « Justes ».
À Paris, le Mémorial de la Shoah et le Panthéon honorent les « Justes » français qui, s’ils sont minoritaires dans la population, ont néanmoins permis de réduire considérablement le nombre de Juifs de France exterminés.
Aux côtés des individus, des organisations non-juives (catholiques, protestantes, laïques) conçoivent des filières et protègent les Juifs et, en particulier les enfants. Elles opèrent souvent en coopération avec des organisations juives.
En groupes, en famille ou seuls, les « justes » n’hésitent pas à se mettre en danger.
Les Juifs, et principalement les enfants juifs, sont « cachés » dans la France entière. Les familles d’accueil sont recrutées par les organisations et les mouvements de Résistance au coeur de la population anti-collaborationniste. Les sauveteurs des Juifs offrent une grande variété de profils : paysans, cheminots, employés, enseignants, résistants ou pas. Des « passeurs » résistants permettent aux Juifs de gagner la zone dite « libre » avant 1942.
Au sud de la France, dans les départements à majorité protestante, la tradition de protection et d’accueil s’appuie sur la solidarité locale. Le Chambon- sur- Lignon (en Haute-Loire), par exemple, est déclaré « village de Justes ». L’action des pasteurs y a été déterminante comme dans d’autres localités.
Un réseau des « villes et villages des Justes de France » rassemble les collectivités locales de plusieurs régions de France qui ont sauvé des Juifs.
De nombreux « Justes » demeurent encore anonymes mais des personnes, des couples, des familles sont honorés chaque année. Ils reçoivent, à titre posthume, la distinction de « Justes parmi les nations ».
Référence
Cabanel Patrick, 2012, Histoire des Justes en France, Ed. Armand Colin