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La Naïe Presse : histoire du journal yiddish de la résistance juive en France

Origines : de la M.O.E. à la M.O.I. (Main-d’Œuvre Immigrée)

Dès 1926, le Parti communiste français s’emploie à encadrer les travailleurs immigrés en fondant la M.O.E. (Main-d’Œuvre Étrangère), un secteur d’activité spécialement dédié aux étrangers. En 1932, cette organisation devient la M.O.I. (Main-d’Œuvre Immigrée). Des groupes de langues sont alors créés pour favoriser l’intégration des travailleurs ne parlant pas le français, notamment des Juifs d’Europe de l’Est.

Ces immigrés juifs, souvent enthousiasmés par la Révolution russe, s’identifient aux idéaux communistes et voient en eux un espoir de liberté, d’égalité, de paix et de lutte contre l’antisémitisme. Le communisme est perçu par beaucoup comme un projet débarrassé des haines raciales et religieuses.

Un réseau associatif juif dynamique

La section juive de la M.O.I. développe un maillage associatif très riche et structurant. On y retrouve des dispensaires médicaux, des actions sociales, des clubs sportifs, des mouvements de femmes et de jeunesse, un patronage, une section d’écrivains, une chorale populaire et un théâtre. Cette activité culturelle et militante s’exprime en yiddish, langue maternelle d’une grande partie des membres.

La naissance de La Naïe Presse, journal yiddish antifasciste

Le contexte politique de 1934

Face à la montée du fascisme et de l’antisémitisme en Europe, la section juive de la M.O.I. lance La Naïe Presse (« La Presse Nouvelle ») le 1er janvier 1934. Il s’agit d’un quotidien laïque, rédigé en yiddish, qui entend lutter contre la menace nazie, soutenir les valeurs démocratiques, et informer les travailleurs juifs immigrés.

Le journal couvre également les grands événements de l’époque : les mouvements sociaux, le Front populaire, la guerre d’Espagne contre le franquisme. Son lectorat s’étend rapidement et La Naïe Presse devient le quotidien yiddish le plus lu en Europe.

Une équipe engagée et militante

Parmi les membres emblématiques de la rédaction, on retrouve :

L’association des « Amis de La Naïe Presse » soutient activement le journal, sa diffusion et son financement.

La Naïe Presse pendant la Seconde Guerre mondiale

Dernier éditorial avant l’interdiction

Alors que L’Humanité est interdite le 26 août 1939, La Naïe Presse continue à paraître jusqu’au 2 octobre 1939. Le 4 septembre, Adam Rayski y publie un éditorial historique, affirmant en rupture avec la ligne de l’Internationale communiste :

« Nous, Juifs, avons un compte à régler avec Hitler... L'heure a sonné, le moment est venu, une guerre sans pitié commence. »

Le journal est interdit, et son directeur de publication, Gaston Barrois, en est officiellement informé.

La reconstitution clandestine

Dès septembre 1940, la section juive de la M.O.I. se reconstitue dans la clandestinité. La Naïe Presse reparaît le 29 septembre 1940 sous le nom Unser Wort (ou Unzer Vort) en yiddish, et sous les titres Notre Parole (zone nord) et Notre Voix (zone sud) en français. 90 numéros paraissent clandestinement entre 1940 et 1944.

Le journal informe sur :

  • les consignes de sécurité en période d’occupation,
  • les conditions de vie dans les camps,
  • les déportations et exécutions,
  • l’extermination des Juifs,
  • les actions de la résistance armée,
  • les dernières lettres des partisans,
  • le soulèvement du ghetto de Varsovie.

Une logistique clandestine efficace

Le matériel d’impression est mis à l’abri : stocks de papier, machines, ronéos, stencils… Les réflexes de clandestinité acquis en Europe de l’Est permettent une activité organisée et sécurisée. Les femmes et hommes non mobilisés s’impliquent dans l’impression, la diffusion, la réorganisation et la collecte de fonds.

Le journal informe sur :

La Naïe Presse, porte-parole de la résistance juive

Devenue l’organe de presse de l’organisation « Solidarité », puis de l’UJRE (Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide), La Naïe Presse est la cible directe de la répression. Ses rédacteurs, imprimeurs, diffuseurs sont arrêtés, déportés ou fusillés. Mounié Nadler est exécuté au Mont-Valérien le 11 août 1942.

L’après-guerre : La Naïe Presse et ses héritiers

Une reprise au service des rescapés

Après la Libération, La Naïe Presse reprend sa publication. Elle s’adresse aux survivants yiddishophones, fidèles à l’idéal de la Résistance. Une page en français est ajoutée pour toucher une nouvelle génération.

La transition vers le français

En mai 1965, Marceau Vilner crée La Presse Nouvelle Hebdo, 100% en français, qui devient La Presse Nouvelle Magazine (PNM) en 1982. Faute de lecteurs yiddishophones, La Naïe Presse cesse de paraître en 1993, mettant fin à une épopée journalistique unique.

Transmettre la mémoire de La Naïe Presse

La Naïe Presse est bien plus qu’un journal. C’est un témoin et un acteur de l’histoire. Symbole de l’engagement des Juifs communistes dans la lutte antifasciste, elle incarne la résistance par la plume, la langue, et la conviction. Son histoire est un pilier de la mémoire juive et de la presse militante française.